jeudi 12 mai 2011

En Afrique, la fin de l’histoire n’est pas pour bientôt

Depuis le début des révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, la partie globalisée de la planète ne sait plus où donner de la tête. A peine avait- on fini de s’associer à la fête des manifestants sur l’avenue Bourguiba de Tunis à l’annonce de la fuite de Zine el-Abidine Ben Ali qu’il a fallu se déporter sur la place Al-Tahrir du Caire pour pousser vers la porte l’inusable Hosni Moubarak. Pas le temps de souffler et de se familiariser avec la continuité géographique du monde arabe avant que ne s’enflamment la Libye du colonel Kadhafi en terre africaine, puis, plus loin, Bahreïn, le Yémen et la Syrie. Si l’emballement médiatique est ponctuel, les mutations politiques, économiques, sociales et culturelles dans cet- te partie du monde s’inscrivent, elles, dans la longue durée.

En Afrique, au sud du Sahara, impossible d’échapper à une question ré- currente : les révolutions arabes vont- elles faire école par ici ? Par où commenceront-elles ? N’est-ce pas le vent du nord africain qui a entraîné ces dernières semaines le Burkina Faso dans la tourmente ? Faudrait-il sur- veiller le Sénégal où deux personnes se sont immolées devant les grilles du pa- lais présidentiel en l’espace de trois se- maines, sur le modèle du héros de la révolution tunisienne, Mohamed Bouazizi ? N’y aurait-il pas une petite ressemblance, par exemple, entre le Cameroun de Paul Biya, abonné aux longues vacances en Suisse et en France, et la Tunisie de Ben Ali ? A moins que l’Afrique noire, elle, soit étrangement prémunie contre de telles poussées révolutionnaires ou qu’elle considère avoir déjà fait sa mue démocratique au début des années 1990, dans la foulée de la chute du mur de Berlin.

L’Afrique noire politique présente un visage assez différent de celui que présentait le nord du continent il y a encore quelques mois. Ben Ali est tombé après vingt-trois ans de pouvoir sans partage. Il a verrouillé le système politique et a installé un régime policier redoutablement efficace : aucune chance de le faire partir par une élec- tion et des libertés individuelles et collectives sévèrement encadrées. Malgré une population autrement plus massive et bouillonnante, Hosni Moubarak a consolidé son régime par les mêmes méthodes : mesures d’exception permanentes et parodie d’élections. Cela a duré trente ans. Le colonel Kadhafi a fait beaucoup mieux : il « guide » l’interminable révolution libyenne depuis plus de quarante et un ans et assume son rejet de la démocratie. La fin de son règne est inéluctable.

Lente démocratisation

En Afrique subsaharienne, sur 48 Etats, il n’y a en 2011 que 7 présidents qui ont derrière eux plus de vingt ans de pouvoir : Teodoro Obiang Nguema en Guinée équatoriale, Jose Eduardo dos Santos en Angola, Robert Mugabe au Zimbabwe, Paul Biya au Cameroun, Yoweri Museveni en Ouganda, Blaise Compaoré au Burkina Faso, Idriss Déby au Tchad. Mais dans toutes les grandes régions d’Afrique subsaharienne, les élections, bien que souvent contestées et volontairement mal organisées, débouchent régulièrement sur des changements à la tête des Etats.

Parfois, il a fallu attendre la mort naturelle des « pères des indépen- dances » ou de leurs héritiers pour ouvrir timidement une nouvelle page, avec ou sans un passage par des crises violentes, des régimes militaires ou des guerres civiles. Nés il y a un demi-siècle comme Etats indépendants dans leurs frontières actuelles, ces pays tâtonnent dans la recherche d’une identité politique et d’un projet collectif. Il n’y a là rien de surprenant, sauf pour ceux qui pensent que des Etats se construisent et se consolident aussi vite que ne circule une information sur Facebook.

En Afrique noire, les dirigeants qui s’accrochent au pouvoir n’ont pas commis l’erreur de construire des universités et de pousser à une modernisa- tion économique qui finit par créer une classe de jeunes qui savent établir un lien direct entre leur mal-être et la manière dont leurs pays sont gouvernés. Les puissantes forces de la démographie, de l’urbanisation et des réseaux de communication et d’information sont cependant déjà à l’œuvre.

En l’absence de changements profonds des pratiques politiques et des logiques d’accaparement de ressources par des élites vivant dans un autre monde que la masse de leurs compatriotes, il y aura bien un moment où les liens de solidarité familiale, clanique, ethnique qui transcendent les classes sociales ne seront plus suffisants pour reporter l’échéance des révoltes populaires. Dans la plus grande partie de la planè- te, on n’en est pas à la fin de l’histoire mais bien à ses débuts. Et elle sera mouvementée.

(Publié sur www.infosud.org et www.rue89.com le 7 mai 2011)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire