mercredi 29 octobre 2014

700 petits mots et une pensée pour le Burkina

A quelques heures d’un vote crucial pour les perspectives de paix et de transition démocratique réelle au Burkina Faso, un long développement sur l’absurdité d’une énième manipulation constitutionnelle visant exclusivement à prolonger le pouvoir d’un chef d’Etat africain ne servirait à rien. Ce n’est plus le moment d’épiloguer sur l’acceptabilité des arguments mis en avant par le camp du président Blaise Compaoré et sur la force de ceux que leur opposent les adversaires au projet de révision de la Constitution.

Ce qu’il me semble important de dire aujourd’hui, à la veille d’un vote à l’assemblée burkinabè dont les conséquences pourraient être significatives pour plusieurs autres pays du continent dirigés par des présidents qui voient s’approcher avec angoisse la fin de leur dernier mandat autorisé, c’est que la question de la révision de la constitution aux fins de maintien au pouvoir n’est pas une question juridique. Il est insupportable d’entendre ici et là, comme parade définitive à toute expression de révolte, que l’initiative du camp présidentiel à Ouagadougou est parfaitement légale et respectueuse des exigences démocratiques, puisque la Constitution autorise la modification de l’article relatif au nombre de mandats présidentiels, et qu’en cas de référendum, le dernier mot reviendrait au peuple souverain.

La question qui se pose au Burkina Faso aujourd’hui n’est pas juridique. Elle est morale. L’instrument du droit tout comme les systèmes et les modèles politiques que les sociétés ont créés et ont constamment modifiés au fil des siècles correspondent à des valeurs auxquelles elles aspirent et à des principes qu’elles estiment nécessaires de s’imposer pour tendre vers leur vision de ce que serait une société idéale. Adopter des règles de limitation des mandats dans des constitutions et mobiliser ensuite toute son énergie, son temps et sa créativité juridique et politique à les contourner traduit une ignorance profonde du fondement éthique de la construction de systèmes politiques démocratiques. Cela montre le gouffre qui persiste dans nos pays entre l’aspiration proclamée au formalisme démocratique et l’adhésion effective à la culture démocratique. Cette dernière suppose l’adhésion à des valeurs et des principes, comme l’impératif de l’alternance au pouvoir, et pas seulement le respect des textes constitutionnels, le respect du droit et celui du vote populaire.

Il est osé et dérangeant de le dire, mais il le faut : ce n’est pas le vote populaire qui, seul, doit décider en tout temps et en tout lieu sur les questions qui relèvent de l’éthique de la société. Le peuple décide sur la base d’une offre de choix qui lui est proposée par celles et ceux qui se présentent comme ses élites. Ces dernières, lorsqu'elles ont une culture démocratique, ne proposent pas au peuple des options qui vont à l’encontre de l’esprit même de la construction démocratique et de celle de sociétés en paix. 

Pas de long article, avais-je annoncé. Alors je conclus par un extrait d’un article que j'ai écrit en 2009, il y a déjà cinq ans, lorsque Dadis Camara en Guinée et Mamadou Tandja au Niger, avaient révélé leur volonté de s’accrocher au pouvoir, le premier en ayant l’intention de se présenter à une élection à laquelle il s’était engagé à ne pas être candidat, le second en décidant de prolonger son mandat de quelques années pour finir ses chantiers :

« Voir les choses en blanc ou en noir, un peu à la George W Bush, n'est, il est vrai, pas très sophistiqué et rarement correct. N'empêche que dans les pays africains aujourd'hui, deux groupes se font bel et bien face : celui des femmes et des hommes qui ne pensent qu'à eux et aux leurs (la famille élargie parfois au clan ou au groupe ethnique) et sont prêts littéralement à tout pour conserver leur confort ou l'améliorer, et celui des personnes qui ne veulent pas de sociétés bâties sur l'égoïsme et l'absence de la moindre valeur partagée. Dans beaucoup d'endroits sur le continent, le rapport de forces est pour le moment clairement favorable aux premiers, et de loin. Jusque-là, ce sont les premiers qui enterrent les seconds, au propre et au figuré. Mais ils ne les enterreront pas tous. »

Il ne reste plus qu’à espérer que la raison prévaudra au pays des hommes qui ont aspiré à un moment donné de leur histoire à être des hommes intègres.



mercredi 22 octobre 2014

Face à Ebola, l’impératif de la cohérence et de la justesse technique des réponses sur le terrain

Au lendemain de notre Lettre ouverte au Directeur général de l’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS) en date du 15 octobre 2014, le responsable de cette institution régionale, Dr Xavier Crespin, a eu la gentillesse et l’ouverture de nous accorder un entretien téléphonique. Cette prompte réaction à notre lettre ouverte qui interpellait sans ménagement cette organisation sur la réponse régionale faible et peu audible à la crise créée par le virus Ebola est encourageante. Le directeur de l’OOAS nous a fait part des efforts entrepris par son institution, et s’est montré pleinement conscient de l’ampleur des limites de la réponse de l’Afrique de l’Ouest à la crise Ebola et de la nécessité de la hisser au niveau de l’enjeu qui est vital pour la région. Au cours de cet entretien, nous avons abordé en particulier trois questions qui sont à nos yeux essentielles. Nous nous proposons de les partager publiquement, au vu de leur potentiel impact sur les perspectives de l’épidémie, proposant les solutions qui nous paraissent à première vue envisageables et dans l’espoir de susciter d’autres idées et surtout de provoquer des changements rapides dans la réponse globale à la crise.
1.      Epidémies et regroupements de patients en milieu de soins
Les données disponibles montrent une réponse dépassée par l’ampleur de l’épidémie. Il nous est souvent rappelé que les mouvements de populations ainsi que la densité élevée de ces dernières, notamment en milieu urbain, sont spécifiques à l’épidémie à virus Ebola en cours en Afrique de l’Ouest. Une des caractéristiques de la pratique médicale occidentale consiste à rassembler les patients en milieu de soins, dans des structures de prise en charge. Dans d’autres cultures médicales, y compris dans les pratiques traditionnelles de la région ouest-africaine, il est plus usuel qu’une relation profonde (durée des échanges, vie dans le domicile du thérapeute) s’instaure entre praticien et patient. Le rassemblement des patients à un même moment et à même endroit n’y est pas nécessairement la norme. Lorsqu’une réponse médicale ne donne pas les résultats escomptés, il semble essentiel de revoir le contenu technique des actions menées, quels que soient les acteurs qui les proposent.
Un exemple frappant parmi d’autres reste celui de l’environnement dans lequel les patients « suspects » sont confinés dans les centres de prise en charge Ebola, au cours du triage (série de questions visant à catégoriser les patients en fonction de la probabilité d’infection à Ebola), et une fois le triage effectué, dans l’attente d’une confirmation de leur diagnostic par test sanguin. Une vidéo documentant la visite guidée d’un centre de traitement Ebola au Libéria montre que la distance entre patients en attente de triage était de quelques centimètres, bien moins importante que la distance maintenue entre les patients et le personnel médical qui était, à vue d’œil, d’au moins un mètre (http://www.youtube.com/watch?v=6Ib6WbIKyRE).
Bien que nous ayons eu écho de l’existence de quelques laboratoires mobiles, une visite dans l’un des centres de traitement en Guinée au cours de la première semaine du mois d’octobre confirmait l’existence de « tentes des suspects » où les malades suspectés d’être infectés par le virus Ebola, étaient essentiellement confinés sous une même tente avec une capacité de six lits très peu espacés les uns des autres (moins d’un mètre à vue d’oeil) et sans séparation physique entre les lits. Le diagnostic par le test sanguin ne se fait certes qu’après un système de triage déterminant une probabilité importante d’infection par le virus, mais un suspect reste par définition un malade non confirmé.
C’est ainsi que des patients, déjà débilités par fièvre, vomissements, diarrhées ou autres symptômes similaires à ceux de la maladie à virus Ebola, et ayant des facteurs de risque d’infection à ce virus (contexte épidémiologique, contact avec des malades ou des cadavres), se retrouvent tous dans une même aire en attente des résultats du triage ou sous une même tente en attente du résultat de leur test sanguin. Cette attente dans un lieu où les distances entre patients permettraient une transmission du virus est-elle justifiable ? A nos yeux, les éléments suivants plaident pour une réponse négative :
·       Le système de santé ne peut pas se positionner en acteur de la réponse s’il expose de potentiels patients affectés par des maladies autres que celle à virus Ebola à une infection au sein d’une structure de prise en charge. Ce risque d’exposition, même s’il est faible, n’est pas acceptable pour une infection aussi meurtrière autant du point de vue de la logique médicale que de celle de l’éthique.
·       Si les patients suspects ont peur de contracter le virus Ebola au moment du regroupement au sein des structures médicales, en plus de toutes les autres peurs liées au diagnostic lui-même, ils ne viendront pas spontanément se faire tester.  
·       Le suivi de tous les suspects dont le test s’avérait négatif s’imposerait, rendant extrêmement lourd le système de surveillance déjà visiblement dépassé, dans les trois pays, par l’ampleur de l’épidémie.
Il est impossible de savoir aujourd’hui si la stratégie de triage et de tests mise en œuvre depuis le début de l’épidémie a favorisé la contamination de personnes initialement non infectées à Ebola dans les structures de prise en charge. Il nous semble par contre incontestable que la vision de ces centres où les suspects en attente du diagnostic sont retenus pendant de longues heures dans une certaine promiscuité, couplée à une communication au départ confuse et incohérente sur la maladie elle-même, a éloigné beaucoup de personnes, atteintes d’Ebola ou d’autres maladies, de la fréquentation des structures de santé.
Dans un contexte où le regroupement des patients en milieu de soins semble aujourd’hui questionné au Libéria par exemple, par des stratégies dites communautaires proposées officiellement à cause du « dépassement des capacités de réponse », il nous semble essentiel de considérer, pour des raisons strictement médicales, les étapes de la réponse pendant lesquelles ce rassemblement est essentiel et celles où il ne se justifie pas. Clairement la prise en charge d’un cas confirmé Ebola est plus aisée dans une structure médicale dédiée et expose moins de personnes en charge des soins des cas à une transmission du virus. Par contre, le risque d’infection lors du triage ou de l’attente du résultat du test doit être éliminé.
C’est ici que les stratégies communautaires semblent manifester toute leur pertinence, et ceci indépendamment du fait que la réponse des systèmes de prise en charge médicale soit dépassée ou non. Des tests sanguins pourraient être effectués à domicile par des laboratoires mobiles suite à des échanges téléphoniques entre suspects et personnel en charge du triage. Malgré les difficultés d’ordre logistique et de contrôle de l’infection inhérentes à cette proposition, il nous semble indispensable d’examiner en urgence toutes les options qui garantiraient une protection maximale des cas suspects non encore testés. 
2.     Responsabilité du suivi et de l’évaluation technique de la réponse à Ebola
Différents lieux de pouvoir et de décision coexistent dans la communauté en charge de la réponse à la crise Ebola. Le pouvoir relatif à la coordination de la réponse semble être celui autour duquel s’agglutinent acteurs gouvernementaux (locaux, régionaux, étrangers à l’instar des anciennes puissances coloniales des pays les plus affectés) et acteurs du système des Nations Unies (Mission des Nations Unies pour la réponse en urgence à la crise Ebola – UNMEER mais également agences onusiennes spécialisées). Il y a des raisons de s’interroger sur les chances qu’une coordination théoriquement renforcée au niveau international se traduise rapidement en une réponse efficace sur le terrain en l’absence d’un contrôle la qualité technique des activités mises en œuvre.
Les enjeux de la coordination semblent laisser un vide technique que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ne paraît pas capable de combler. Lorsque des directives existent, elles ne sont pas nécessairement appliquées. C’est le cas par exemple de la gestion des cadavres en Guinée qui ne suit pas les directives de l’OMS et du Centre for Disease Control and Prevention (CDC), comme le montre une vidéo disponible en ligne (http://www.youtube.com/watch?v=FsYJaNhDUx4). Si des désaccords existent sur le type de directives à suivre dans le contexte d’une épidémie grave qui est loin d’être sous contrôle et dont la connaissance s’affine au fur et à mesure de l’expérience, il est difficile de savoir qui est réellement responsable de s’assurer de la qualité de la réponse en cours.
Nous proposons donc que la priorité soit accordée à l’examen de tous les aspects techniques de la réponse. Cela implique de vérifier l’application effective des directives existantes au niveau des pays, de revoir ces mêmes directives et d’en élaborer de nouvelles s’il le faut.
3.     L’impératif d’une protection maximale des personnels de santé
Le bulletin de l’OMS du 15 Octobre (WHO: Ebola Response Roadmap Situation Report15 October 2014, http://www.who.int/csr/disease/ebola/situation-reports/en/) est le dernier à fournir des estimations sur les infections et les décès du personnel médical. Selon ces données, 427 ressources humaines en santé avaient contracté le virus et 236 décès avaient été enregistrés. Bien qu’un « tableau 2 » soit mentionné dans le bulletin pour plus d’informations relatives à ces infections et décès, nous n’avons pas trouvé ces informations dans le tableau en question.
Il est très difficile par ailleurs d’obtenir des informations précises sur les ressources humaines en santé dans les pays affectés avant l’épidémie. L’observatoire des ressources humaines en santé présente par exemple pour le Libéria des données très différentes dans la version anglaise du site (51 médecins et 978 infirmiers en 2008) et dans la version française (437 médecins et 3468 infirmiers en 2009). Ces derniers chiffres apparaissent cependant peu crédibles compte tenu de ce qu’on sait de l’ampleur du déficit de personnels de santé au Liberia avant la crise d’Ebola.
Quelle que soit la mauvaise qualité des statistiques disponibles, il est certain que le patrimoine des ressources humaines en santé exerçant en Afrique de l’Ouest est limité. Nous soutenons évidemment une implication forte de la région dans la réponse à la crise actuelle et saluons l’appel que l’OOAS, la CEDEAO et l’Union Africaine font aux médecins et infirmiers de la région pour renforcer les personnels de santé dans les pays affectés. Nous insistons cependant sur les points suivants :
·       Des données détaillées doivent être disponibles en ligne sur les infections au virus Ebola des personnels de santé dans les trois pays affectés pour s’assurer que les causes de ces infections soient comprises et que les mesures de prévention soient renforcées là où cela est nécessaire. Il est anormal que nous recevions par la presse les détails des rares cas d’infection du personnel de santé en Europe et aux Etats-Unis et que nous sachions si peu de choses sur les conditions de l’infection des médecins, infirmiers et autres agents de santé locaux en première ligne. Ces informations concernent le personnel en milieu de soins mais également les personnes qui s’occupent de la gestion des cadavres.
·       Il est indispensable qu’une formation de qualité irréprochable soit dispensée avant et pendant le déploiement des ressources humaines en santé (y compris les logisticiens) dans les pays affectés. La qualité de cette formation est aussi liée à l’apprentissage issu de l’expérience. Les agences qui ont acquis cette expérience, à l’instar de Médecins Sans Frontières, pourraient rendre disponibles, par exemple sous forme de vidéos en ligne, les formations proposées.
·       Les autorités responsables du déploiement doivent s’assurer que la logistique nécessaire au contrôle de l’infection accompagne les personnels déployés tout au long de leur mission.
·       Il est indispensable que des professionnels de la santé et de la sécurité au travail soient affectés au sein des organisations qui déploieraient du personnel dans le cadre de la réponse à Ebola, et que ces organisations prennent la responsabilité, de manière contractuelle avec les personnels déployés, de leur prise en charge totale en cas de suspicion ou d’infection confirmée par le virus. Il est indispensable que les contrats spécifient clairement les conditions de retour au pays d’origine des personnels de santé et qu’ils bénéficient d’un suivi effectif.  Les personnels déployés peuvent craindre en effet de ne pouvoir rentrer chez eux une fois leur mission terminée puisque les directives des pays sur la fermeture des frontières et/ou d’ouverture de corridors humanitaires ne respectent pas nécessairement les prescriptions de l’OMS et qu’elles sont changeantes dans le temps.
L’ampleur de l’épidémie est le résultat d’une réponse inefficace à plusieurs niveaux dès la confirmation des premiers cas dans les différents pays. Le déficit profond de confiance des populations affectées dans leurs systèmes nationaux de santé a sans doute été le premier obstacle à un contrôle rapide de la propagation du virus. Mieux communiquer (et donc davantage expliquer pour mieux convaincre que donner seulement des instructions) est un impératif comme l’est également une réponse médicale cohérente avec le contenu de cette communication. Si l’enjeu est de séparer le plus rapidement possible les patients confirmés de ceux qui ne le sont pas, cette séparation entre patients doit exister, au sein du système de santé, jusqu’à la confirmation des cas par un test sanguin.
Nous savons qu’il n’y a pas de solutions miracles face à une épidémie qui représente un défi sans précédent mais l’enjeu est tel pour les trois pays les plus affectés et pour toute l’Afrique de l’Ouest, qui reste entièrement exposée, qu’on ne peut se satisfaire de stratégies et de pratiques sur le terrain comportant des incohérences évidentes. On ne peut se contenter d’attendre la fin de l’épidémie pour évaluer la réponse, ni de suivre des directives dictées par le dépassement des capacités des structures de prise en charge en milieu de soins. La responsabilité de la supervision technique des activités médicales doit être clairement assignée à une organisation mandatée à cet effet et capable de l’assumer. Si cette organisation n’existe pas, il faut créer en urgence une structure technique ad hoc, débarrassée des contraintes et considérations politiques, et décharger toutes les autres organisations de cette responsabilité.
Dakar le 22 octobre 2014
Dr Fatou Francesca Mbow, consultante indépendante en santé humanitaire, fatoumbow@gmail.com
Dr Olakounlé Gilles Yabi, économiste et analyste politique indépendant, gillesyabi@gmail.com

Les deux auteurs sont également membres du WATHI, un réseau de citoyens engagés pour une Afrique de l’Ouest apaisée, solidaire, ouverte, productive et digne.

jeudi 16 octobre 2014

La crise Ebola en Afrique de l'Ouest: Lettre ouverte au Directeur général de l’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS)

Lettre ouverte au Directeur général de l’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS)
Monsieur le Directeur Général,
Le site internet de l’OOAS apprend à tous les citoyens de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dont l’OOAS est une agence spécialisée, que l’objectif de l’organisation est « d’offrir le niveau le plus élevé en matière de prestation des soins de santé aux populations de la sous-région sur la base de l’harmonisation des politiques des États Membres, de la mise en commun des ressources et de la coopération entre les États Membres et les pays tiers, en vue de trouver collectivement et stratégiquement des solutions aux problèmes de santé de la sous-région.»
Au moment où l’Afrique de l’Ouest est confrontée à la crise sanitaire la plus grave de son histoire contemporaine, et alors que plusieurs dizaines de personnels de santé déjà en nombre insuffisant dans les pays les plus touchés succombent toutes les semaines de la maladie à virus Ebola, nous sommes extrêmement préoccupés par la faiblesse de la réponse régionale ouest-africaine à la crise.
Nous nous sommes d’abord réjouis de découvrir sur le site internet de l’OOAS un lien vers une page spéciale « Tout sur Ebola », avant de déchanter en faisant les constats suivants :
1.      Le 15 octobre 2014, les données les plus récentes sur l’épidémie disponibles sur le site dataient du 21 septembre 2014 dans les trois pays les plus affectés (Liberia, Sierra Leone, Guinée). Compte tenu de la gravité de l’épidémie et des chiffres donnés par d’autres sources d’information indiquant une tendance croissante, les populations de la région seraient en droit de s’attendre à une actualisation quotidienne ou au moins hebdomadaire des données sur chaque pays.
2.     Plus surprenant, les pages auxquelles renvoient les liens affichés sur la partie dédiée à la crise Ebola et qui semblent centrales pour la compréhension de l’épidémie et de sa réponse actuelle, ne sont pas fonctionnelles. Ces pages qui ne donnent donc aucune information sont les suivantes :
·      Les connaissances et attitudes pratiques au profit des populations
·      Liste des laboratoires de dépistage du virus Ebola
·      La recherche (traitement) sur le virus
3.     Le lien sur votre site « Autres sources importantes d’information » dirige le visiteur vers trois pages du site de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).  Nous nous permettons de porter à votre attention que le site du Centre of Disease Control and Prevention (CDC) des Etats-Unis est également très informatif mais aussi, dans le contexte de région, ceux d’autres sources d’information qui documentent par exemple les essais vaccinaux en cours au Mali ou ceux prévus en Gambie.
Monsieur le Directeur Général,
Vous savez mieux que nous que la crise sanitaire actuelle affecte non seulement la santé de nos populations, le patrimoine ouest-africain en ressources humaines en santé gravement diminué par la surmortalité du personnel sanitaire en première ligne face à la maladie à virus Ebola, mais également l’économie, la paix et la sécurité dans toute la région. Si l’Organisation Ouest Africaine de la Santé ne se situe pas au premier plan de la réponse aujourd’hui, les citoyens des pays membres de la CEDEAO pourront légitimement s’interroger sur la raison de son existence demain.
Les liens non fonctionnels du site web de votre organisation auraient pu constituer une source d’information précieuse sur les trois éléments de la réponse qui semblent aujourd’hui essentiels à repenser en urgence :
1.  Le rôle central d’une information transparente, correcte et honnête:
Les médecins sont en général payés par la population et/ou par l’Etat en échange de services qui correspondent à une prestation valorisée par eux. Si nous nous retrouvons en pleine épidémie avec des violences de la part de certaines populations envers les acteurs de la réponse à la maladie, il s’agit soit  d’une mauvaise compréhension de l’offre de services soit d’une offre comprise mais non valorisée. Ces violences ou le simple fait pour des populations de ne pas collaborer à la réponse à l’épidémie en ne livrant ni malades ni cadavres potentiellement infectés, ont justifié l’intervention de l’armée dans certains des pays affectés (Sierra Leone), ont fait des morts parmi les acteurs de la réponse (Liberia, Guinée) et continuent d’affecter la surveillance épidémiologique dans les trois pays.
Une revue rapide des messages relatifs à l’épidémie dans les pays affectés montre combien ces messages sont dans leur grande majorité directifs plutôt qu’explicatifs. Ce constat est vrai quelle que soit la source des messages (gouvernements,  Nations unies, organisations non gouvernementales, y compris Médecins Sans Frontières, MSF).
Qu’a fait l’OOAS pour lever le préjugé qui est véhiculé par cette information parfois infantilisante et paternaliste, le préjugé qu’expliquer ce qu’est un virus, un système immunitaire, un test, serait trop « compliqué » comme information pour les populations les plus pauvres et les plus exposées de notre région ? N’avons-nous pas su expliquer ces concepts en relation à l’épidémie du VIH Sida il y a quelques années ? Nous n’avons pour l’instant vu aucune trace écrite d’une explication du rôle du système immunitaire dans la guérison, du rôle des soins apportés dans les structures de prise en charge Ebola dans le renforcement de ce même système immunitaire.
Sans ces explications, peut-on être surpris de  l’incompréhension et de la méfiance des populations auxquelles on dit « il n’y a pas de remède à Ebola mais venez dans une structure de prise en charge pour vous soigner » ?
L’OOAS pourrait par ailleurs se pencher sur une terminologie qui parait parfois confuse et qui, selon nos informations, rend difficile la réintégration, au sein de leurs communautés, des patients sortis « guéris » des centres de prise en charge, le résultat de leur test étant passé du positif au négatif. L’information selon laquelle ces malades pourraient continuer à transmettre le virus pendant trois mois, mais exclusivement en cas de rapports sexuels non protégés en raison d’une présence résiduelle du virus dans le sperme, semble être une source d’incompréhensions et de rejets.
Une information plus juste et plus claire aurait par exemple fait comprendre que le risque d’infection majeur dans cette épidémie se trouve au niveau des malades et des morts infectés par le virus. Cela aurait pu dès les débuts de l’épidémie circonscrire la panique, surtout celle qui s’est emparée des pays non encore infectés. Le rôle du lavage des mains au savon, et pas seulement à l’eau chlorée ou eau de javel, dans la prévention de l’infection aurait également gagné à être souligné dès le début de l’épidémie, au vu de son efficacité et de accessibilité.
2. Le rôle crucial du laboratoire de test pour stopper l’épidémie
Dans le cadre d’une épidémie aussi meurtrière, d’une maladie aussi  contagieuse lorsqu’elle est déclarée et en l’absence d’un traitement spécifique, l’urgence semble se situer au niveau d’un diagnostic le plus rapide et le plus fiable possible, pour que le personnel soignant prenne les dispositions nécessaires à sa propre protection ainsi qu’à la prise en charge des  patients en fonction de la maladie diagnostiquée. Combien de patients atteints de fièvre typhoïde, paludisme, ou autre maladie mimant les signes ou symptômes d’Ebola sont aujourd’hui privés de consultation et de traitement par refus du personnel soignant de s’exposer à une potentielle source de contamination ?
Il est donc étonnant que la capacité de diagnostic en laboratoire reste si faible aujourd’hui et que la majorité de cette capacité se trouve à l’intérieur de structures de prise en charge ou de « transit » où les patients suspects – donc, par définition, réellement infectés ou non quelle que soit la finesse du triage mis en place – se retrouvent sous une même tente, pendant des heures, parfois des jours, avec un réel risque d’infection nosocomiale.
Ces acteurs de laboratoire, ayant les capacités et les compétences requises ont-ils été mobilisés de manière adéquate durant cette réponse ? N’était-il pas possible, avec tous les fonds destinés à la réponse, d’imaginer des laboratoires mobiles qui auraient la capacité de tester de manière sécurisée les patients là où ils se trouvent au moment où leurs symptômes apparaissent, si un système de triage efficace existait, par exemple au niveau de centres d’appels gratuits qui dans certains pays (Guinée) ne fonctionnent toujours pas ?
3.  La nécessité d’une réponse thérapeutique adaptée
Quels sont les protocoles appliqués aujourd’hui dans les centres de prise en charge et quelle en est la base scientifique et opérationnelle ? Toute la composante thérapeutique semble déléguée aux ONG internationales, MSF en premier lieu. Pourquoi ? Les soins présentement offerts dans les centres de prise en charge des trois pays les plus affectés sont bien moins sophistiqués que ceux prodigués dans les structures de soins intensifs des pays plus développés. Ces soins peuvent être dispensés par les ressources humaines en santé présentes dans la région, si la logistique et la formation relatives au contrôle de l’infection en milieu de soins permettent à ces mêmes ressources d’exercer leur métier avec un risque minimal  d’infection.
Il est indispensable que les personnels de santé des pays d’Afrique de l’Ouest soient formés et équipés pour répondre à la présente épidémie mais également être en mesure de répondre aux futures crises sanitaires, liées au virus Ebola ou non. L’engagement sur le terrain d’une ONG comme MSF et l’appui d’autres acteurs internationaux sont salutaires et sauvent des vies mais les autorités politiques et sanitaires de la région ne peuvent se satisfaire de sous-traiter la gestion de la santé de leurs populations à des organisations humanitaires.  
Monsieur le Directeur général,
Vous savez mieux que nous qu’aucune épidémie ne peut être ralentie puis stoppée sans un suivi extrêmement pointilleux des données épidémiologiques fiables. De quelle manière l’OOAS participe-t-elle à cette récolte de données et à la vérification de la qualité de ces dernières ? Savons-nous par exemple quelles sont les modalités d’infection du personnel de santé dans chacun des pays concernés ? Des audits de mortalité ont-ils été faits ? Si oui, quelles en sont les principales conclusions et les recommandations pour le personnel de santé? 
Comment l’organisation que vous dirigez s’assure-t-elle que les divers acteurs engagés dans la réponse à l’épidémie suivent les directives sur la prise en charge des cadavres par exemple ? Avez-vous vu sur internet les vidéos qui montrent les cadavres aspergés de produit désinfectant, alors que les directives de l’OMS et du CDC recommandent de pulvériser le désinfectant plutôt sur la housse dans laquelle est placé le cadavre et de la recouvrir d’une seconde housse également traitée ? 
C’est parce que l’OOAS existe, qu’elle est en activité depuis quatorze ans et que votre mandat est si important que nous nous permettons de vous soumettre cette longue liste de questions. Au moment où la crédibilité de l’OMS est grandement remise en cause, la vôtre a peut-être besoin de s’affirmer. L’Afrique de l’Ouest est fière de disposer de mécanismes formels d’intégration et de solidarité régionales les plus avancés sur le continent. Si son agence spécialisée en matière de santé est incapable de faire entendre une voix claire, forte, juste et unique pour défendre l’intérêt collectif des populations de la région face au virus et à la multitude de réponses approximatives et disparates, ces dernières pourront légitimement douter de la nécessité de l’existence de toutes ces institutions régionales.
Avec l’assurance de nos meilleurs sentiments,
Dr Fatou Francesca Mbow, consultante indépendante en santé humanitaire,
Dr Olakounlé Gilles Yabi, économiste et analyste politique indépendant, ancien directeur Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group,
Les deux auteurs sont également membres du WATHI, un réseau de citoyens engagés pour une Afrique de l’Ouest apaisée, solidaire, ouverte, productive et digne.