vendredi 27 mars 2015

Une pensée et des prières pour le Nigeria (puisqu’on en est là)

A la veille des élections présidentielle et parlementaires au Nigeria, ce samedi 28 mars, tout citoyen d’un pays d’Afrique de l’Ouest, mais aussi du Tchad et du Cameroun, devrait avoir une pensée pour les 170 millions (à peu près) de femmes, d’hommes et d’enfants qui attendent de voir de quoi les lendemains de scrutins seront faits. Et puisque nous sommes dans une région, Nigéria compris, où une majorité des âmes en appellent et s’en remettent chacun à son Dieu pour tout ou presque, même au moment de commettre les actes les plus contraires aux préceptes de leurs religions respectives, accompagnons notre pensée de prières.
Plutôt que de dire la même chose avec des mots différents, je me suis dit qu’il pouvait être utile de rappeler quelques passages sur le Nigéria, écrits ici et là ces derniers mois, à l’approche du grand moment de renégociation des pouvoirs, des ressources et des destins individuels de nombre d’hommes et de femmes que constitue chaque scrutin. Alors voilà pourquoi toute une partie du continent doit avoir une pensée solidaire et pieuse pour sa première puissance démographique :
« En réalité, à l’approche d’élections présidentielles et générales dans un pays où des centaines de personnes ont été tuées au lendemain des élections précédentes en 2011, pourtant jugées moins truquées que les précédentes, c’est à un nouveau déferlement de violences qu’on s’attend au premier trimestre 2015, et pas seulement au nord-est. Que Boko Haram soit enfin affaibli ou non par les armées nigériane et camerounaise ne changera probablement pas grand chose au bilan humain prévisible des batailles politiques à venir dans ce pays où l’accès à une portion de l’immense rente pétrolière est une affaire de vie ou de mort… »
« La situation du nord-est du Nigeria en 2014, tout comme celles, tout autant marquées par une banalisation de la violence et du crime, du Delta du Niger ou du Middle Belt où les massacres à dimension ethnique mais profondément politiques font des centaines de morts chaque année, sont le résultat de décennies de renonciation collective des élites du pays à tenter de donner du sens à l’appartenance à une nation extrêmement diverse en l’unissant derrière quelques valeurs communes. La fabuleuse manne pétrolière a constitué le ciment de cette œuvre de destruction ou plus exactement de non construction d’une fédération nigériane dont l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique toute entière aurait pu, et aurait dû, être fière ».
Et à l’intention des voisins du Nigeria et de toutes les population d’Afrique de l’Ouest : « Que l’on aime ou pas le Nigeria, que l’on en ait peur ou pas, n’a aucune importance. Lorsqu’on vit en Afrique de l’Ouest et qu’on veut continuer à y vivre en paix pendant les décennies à venir, on doit s’intéresser à l’évolution du Nigeria et travailler ensemble à ramener ce pays sur une trajectoire plus rassurante que celle qu’elle emprunte actuellement… »
Un professeur d’université nigérian rencontré il y a quelques jours à l’occasion d’une conférence dans une capitale de la région s’est voulu rassurant lorsque nous l’avons interrogé sur les risques liés aux élections imminentes dans son pays. Il nous a expliqué que « rien ne se passera, les élections vont passer et le  Nigeria sera toujours là, il ne s’effondrera pas, la vie va continuer… ». Il pensait nous rassurer mais en réalité cela m’a davantage inquiété. C’est précisément parce que le Nigeria a toutes les chances de ne pas changer après des mois de débauche financière électoraliste indécente, de paralysie de l’administration, de violences politiques verbales et très probablement de contestations postélectorales qu’il faut s’inquiéter.
L’Afrique a besoin d’un sursaut politique au Nigeria et d’une véritable rupture. Elle n’a pas besoin d’un Nigeria dont la plus grande ambition est de ne pas s’effondrer tous les quatre ans, à chaque année d’élections  générales. L’offre politique servie à près de 68 millions d’électeurs ce 28 mars n’est pas géniale. Il faut faire avec l’opposition entre Goodluck Jonathan, le président sortant dont les Nigérians sont les mieux placés pour établir le bilan, et le général à la retraite Muhammadu Buhari qui a dirigé le pays il y a trois décennies. Difficile de croire à des lendemains qui chantent et qui changent avec des favoris qui manquent singulièrement de fraîcheur.    
La rupture ne peut venir que de cette nouvelle génération de Nigérianes et de Nigérians qui s’activent, se mobilisent, travaillent tous les jours au sein de mouvements organisés contre la corruption, la culture d’impunité, les trucages électoraux, les manipulations des entrepreneurs religieux et ethniques et toutes les tares qui expliquent l’incapacité de ce pays naturellement riche et potentiellement puissant à fournir les services publics essentiels à la majorité de ses habitants.
Le Nigeria ne se résume ni à Boko Haram ni à la culture de la corruption et de l’argent facile. C’est aussi un formidable réservoir d’énergie, de vitalité, de créativité, de modernité et d’irrépressibles désirs de changement. Lorsqu’on vit en Afrique de l’Ouest et qu’on veut continuer à y vivre en paix pendant les décennies à venir, on doit encourager cette partie du Nigeria qui ne fait pas peur, qui innove et qui donne envie, et on doit la connecter aux autres acteurs de progrès dans les autres pays de la région, en faisant tomber les barrières linguistiques et les préjugés des uns sur les autres. C'est aussi ce que nous voulons faire en portant l'initiative d'un think tank citoyen pour l'Afrique de l'Ouest, le WATHI. En attendant, prions avec les Nigérians, que nous y croyions vraiment ou pas.